L’expression musicale et poétique ne se limitait pas au champ des cérémonies et des fêtes, le chant des femmes vacant à leurs occupations au foyer, celui des marchands ambulants et à l’étal, celui des travailleurs des villes et des campagnes, des pêcheurs et marins, des livreurs, la complainte des mendiants, les «blues» des galadimas âjam, les cris des pleureuses, les comptines des enfants, ponctuaient les heures, les jours, les saisons et les ans. Les hommes et les femmes ne pouvaient supporter le poids de la tristesse et des malheurs, ni l’extase de la joie et du bonheur sans en communiquer l’émotion de l’expression, formulée par les meilleurs d’entre eux: leurs artistes, poètes et musiciens.
L ‘entrée dans certains foyers du poste T.S.F. après les années 50, inaugurait une transformation qualitative dans la fonction sociale du chant. Ce nouveau média (teur) entre producteurs et récepteurs de la chanson en plus de son aspect magique et mystificateur, va imposer le silence et l’ébahissement. Cette invention et tant d’autres comme l’imprimerie, la photo et le cinéma qui ont contribué largement dans la préservation du patrimoine en occident, ont accéléré le processus de l’atomisation du patrimoine oral musical et chanté populaire. La sublimation des nouveaux modes de chant et de musique se réalisait au détriment de l’ancien en le “cannibalisant” et en s’y substituant. La création artistique ne se faisait pas à partir de la société et en satisfaction de ses désirs; mais elle lui est imposée graduellement comme une «drogue» à laquelle elle va s’accoutumer. Les films de comédies musicales Égyptiennes en vogue constituaient un appui à ce processus. On verra plus loin l’importance de ce média dans l’action de façonnage des goûts par la manipulation et le matraquage.
L’avènement de l’indépendance fut
marqué, dans les manifestations
de l’allégresse générale - en apparence par l’élan de réconciliation de toutes
les expressions musicales du pays. En effet, du 1er juin 55, le pays a baigné
dans l’ambiance des rythmes des sons venus de tout le pays. Les scènes qui se dressaient
dans les places publiques accueillaient aussi bien les Ghannayas, tabbalas et
zakkaras de Kerkena et Jerba, Abid Ghbounten, Smaïl Hattab, que Riahi, Kalâi,
Safia, Maurice Mimoun, Ould Chnichen, Kakino De Paz, Journo, Fadhila…etc. Dans
les défilés populaires se mêlaient les cavaliers de Zlass et de Tajerouine,
avec les fanfares hssinia et naceuria Cette fraternisation ne pouvait occulter
un paradoxe évident:
• La revanche des expressions
populaires.
• Et la légitimation de fait des
Takhts à l’orientale, les tenants de l’expression musicale mimétique du modèle
égyptien avec la troupe fanion de l’époque El Manar dirigée par R.Kalaî.