dimanche 29 juin 2025

La Saga du Mezoued: Bonnes feuilles



 L’expression musicale et poétique ne se limitait pas au champ des cérémonies et des fêtes, le chant des femmes vacant à leurs occupations au foyer, celui des marchands ambulants et à l’étal, celui des travailleurs des villes et des campagnes, des pêcheurs et marins, des livreurs, la com­plainte des mendiants, les «blues» des galadimas âjam, les cris des pleureuses, les comptines des enfants, ponctuaient les heures, les jours, les saisons et les ans. Les hommes et les femmes ne pouvaient supporter le poids de la tristesse et des malheurs, ni l’extase de la joie et du bonheur sans en communiquer l’émotion de l’expression, formulée par les meilleurs d’entre eux: leurs artistes, poètes et musiciens.

L ‘entrée dans certains foyers du poste T.S.F. après les années 50, inaugurait une transformation qualitative dans la fonction sociale du chant. Ce nouveau média (teur) entre pro­ducteurs et récepteurs de la chanson en plus de son aspect magique et mystificateur, va imposer le silence et l’ébahisse­ment. Cette invention et tant d’autres comme l’imprimerie, la photo et le cinéma qui ont contribué largement dans la préservation du patrimoine en occident, ont accéléré le processus de l’atomisation du patrimoine oral musical et chanté populaire. La sublimation des nouveaux modes de chant et de musique se réalisait au détriment de l’ancien en le “cannibalisant” et en s’y substituant. La création artistique ne se faisait pas à partir de la société et en satisfaction de ses désirs; mais elle lui est imposée graduellement comme une «drogue» à laquelle elle va s’accoutumer. Les films de comé­dies musicales Égyptiennes en vogue constituaient un appui à ce processus. On verra plus loin l’importance de ce média dans l’action de façonnage des goûts par la manipulation et le matraquage.

L’avènement de l’indépendance fut marqué, dans les manifestations de l’allégresse générale - en apparence par l’élan de réconciliation de toutes les expressions musicales du pays. En effet, du 1er juin 55, le pays a baigné dans l’ambiance des rythmes des sons venus de tout le pays. Les scènes qui se dressaient dans les places publiques accueillaient aussi bien les Ghannayas, tabbalas et zakkaras de Kerkena et Jerba, Abid Ghbounten, Smaïl Hattab, que Riahi, Kalâi, Safia, Maurice Mi­moun, Ould Chnichen, Kakino De Paz, Journo, Fadhila…etc. Dans les défilés populaires se mêlaient les cavaliers de Zlass et de Tajerouine, avec les fanfares hssinia et naceuria Cette fraternisation ne pouvait occulter un paradoxe évident:

• La revanche des expressions populaires.

• Et la légitimation de fait des Takhts à l’orientale, les tenants de l’expression musicale mimétique du modèle égyptien avec la troupe fanion de l’époque El Manar di­rigée par R.Kalaî.

Une image fabuleuse émergeait de toute cette mosaï­que bigarrée c’est celle d’un «bout de femme » chétive au visage anguleux marqué par le destin et un regard de brai­se. Elle n’a certainement pas oublié qu’elle venait d’un petit village du nord ouest : Dachret nebber… Cette femme - Saliha - a su réellement réconcilier les uns et les autres par sa com­plainte rauque et mélancolique, bref, elle était peut être la voie(x) perdue de la musique tunisienne contemporaine

Aucun commentaire: