Les courants de pensée réformistes remontent au milieu du 19ème siècle avec les cheikhs issus de la Zitouna, parmi lesquels nous pouvons citer le poète Mahmoud Kabadou, (1812-1871) l’historien Ahmad Ibn Abi Dhiaf,(1804-1874) Mohammed Senoussi,(1850-1900) Mohamed Beyram El Khames(1840-1889) et Salem Bouhajeb (1827-1924). Ces personnalités avaient en commun une pensée réformiste active qui revendiquait d’assimiler de la civilisation occidentale les éléments compatibles avec la Chari’a.
Ce courant de pensée ainsi que l’apport de Khair-Eddine et la création de Sadiki semblaient arriver trop tard face à la banqueroute de l’état, l’aggravation des rapports entre l’état central, ses représentants et les sujets soumis aux exactions les plus injustes.
La colonisation venait précipiter l’état de dépendance du pays, son humiliation et la misère de la soumission des populations dont les chefs de résistance se sont trouvés isolés et seuls face à un envahisseur aux moyens techniques et matériels supérieurs à tout égard.
La rupture des élites, de la société et de l’arrière pays tribal et traditionnel, ne faisait qu’accentuer l’isolement des uns et des autres.
Les débuts de cassure de l’état de rupture des élites de la société, s’exprimera par la voix de l’association des anciens de Sadiki et de la Khaldounia dont l’objectif commun était la transformation des mentalités par la lutte contre l’ignorance.
Par ailleurs, c’est du creuset de la Zitouna que les tentatives des réformes vont tenter de s’exprimer à la fois sur le contenu des programme de la Grande mosquée que sur l’état de misère sociale des étudiants de cette institution.
La question de la langue arabe et de sa défense comme un élément d’identité face au colonialisme, fut le point de convergence des diverses tendances (Nationalistes, Oulémas Zeitouniens) afin de construire une plateforme à la fois politique et intellectuelle et artistique. C’est par la voix du cheikh M. Tahar ben Achour, présidant un congrès de cinq jours, affirmant « l’indépendance et l’essor de la Tunisie dans le domaine littéraire et l’aptitude de la langue arabe à s’adapter à la modernité »[1]
Un courant se développe par la création des associations littéraires et artistiques ainsi que l’action journalistique, afin de créer les forums d’un nationalisme tunisien à partir des éléments de son identité linguistique, religieuse malgré le fait que la pensée réformiste « puise ses référents dans la culture européenne ».Les élites de l’époques sont déchirées par leurs propres références et racines « archaïques » et les influences nées de l’école française, de sa culture ainsi que des influences venues de la renaissance proche orientale et égyptienne en particulier.
Ces contradictions vont traverser l’enceinte même de la Zitouna, c’est la jeune garde issue de cette institution symbolisée par Aboul Kacem Chabbi, Tahar Haddad qui allait prendre en charge un discours innovateur tant littéraire que social.
Conférences congrès et causeries se multipliaient créant parmi les élites une dynamique inédite qui visait la diffusion d’idées nouvelles. Les gens des lettres se sentaient interpelés par le devoir de faire face aux défis nés du fait colonial ainsi que de l’état de la société.
La conférence de Chabbi le 1er fevrier 1929 à la tribune des Anciens de Sadiki donnera lieu à l’une des plus virulentes controverses littéraires sur fond de rivalités politiques. La rencontre de Chebbi, Hlioui et Bachrouch au premier tiers du 20ème siècle, l’ascension du groupe Taht Essour, plus tard, avec A. Dou’aji, M. La’ribi, A.Karabaka, A. Laroui, M. S. M’hidi, H. L’abidi, M. Khrayef, M. Bourguiba, M. Marzouki, M.Bayrem Ettounsi, Z. A. Senoussi, A. Jendoubi, M. Ben Fedhila, A. Gherairi, l’essor de l’activité journalistique et littéraire donnera naissance aux courants créatifs et fondateurs tant par ce qui les rassemblait que par les divergences qui les secouaient, à un moment de l’histoire chargée de menaces, de misère sociales et d’incertitudes. Cette période demeure aussi bien par les écrits que par les prises de positions de ses protagonistes une référence dont est issue une grande partie de la littérature tunisienne contemporaine.
Ali Douaji
Dans ce microcosme de la société tunisienne des années 30, on a du mal à tracer les limites entre les divers genres d’écriture ou d’activités en rapport avec la production littéraire, journalistique, poétique aussi bien en langue « Fosha » que dialectale. Le ton de la dérision prenait et de la satire devenait une arme de combat de l’état colonial, de ses symboles et des ses alliés. C’est à partir des sources d’une certaine culture populaire irrévérencieuse que la presse de l’époque puisait ses ressources, pour vilipender toutes les formes d’injustice et d’humiliation dont était victime le peuple tunisien, Ezzahou de Haj Othman el Gharbi en est l’illustration, avec les poèmes d’un Abderrahman El Kefi un poète engagé, d’abord dans la mouvance communiste avant de rejoindre les rangs du Neo-Destour.
Ainsi la production littéraire de cette époque était fortement marqué le souffle de la révolte, l’engagement social avec les plus démunis, ce qui a favorisé l’éclosion d’un romain et d’une nouvelle qui traduit des aspirations populaires par la voix d’écrivains qui vivaient dans une certaine errance et marginalité.
[1] Rab’aa ben Achour : « l’évolution culturelle » p. 217 in Histoire générale de la Tunisie, époque contemporaine Tome 4.