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lundi 8 mai 2017

Quand le corps décide de prendre la parole



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Il n’y a pas de doute, en fin de compte, que le mézoued de la deuxième moitié du XXème siècle, va opérer une démarcation nette et sans appel de son origine et de son contenu soufis, pour ne garder que la marginalité qui a caractérisé ses adeptes d’une part et revendiquer sa propre langue, d’autre part. Une langue née du contexte socio-économique des périphéries des grandes villes et non pas seulement de la capitale. Le mézoued va réaliser ce que la langue de bois de la politique et de la culture dominante (y compris l’école) n’ont jamais pu réaliser: L’homogénéisation de la langue de la jeunesse par le biais d’une chanson rebelle et insoumise -socialement correcte cela s’entend-. Le mézoued va chanter l’amour, le mal être, le vin, la misère sexuelle, l’exil, la prison en un mot la vie autrement.
Face à un système qui a érigé l’asphyxie de la liberté d’expression en un mode de vie, le mézoued, sans grandes prétentions politiques, va toucher la jeunesse la où ça fait mal: Le vécu. Chanter est devenu synonyme de s’exprimer. Le corps ainsi va esquisser sa prise de parole par cordes vocale interposées.
Danser – consciemment - pour des «mâles» a toujours été tabou ou presque.
La danse, avec la colonisation, l’apparition du cinématographe, les films égyptiens chantants, l’ouverture des salles de spectacles et cafés chantants avec des danseuses«bédouines», les San’aats dans les soirées de mariages, tout cela faisait de la danse un acte socialement tabou pour les femmes! Que dire alors des hommes! Les danses dans notre société traditionnelle étaient codifiées selon les régions, si les danses soufies (Chathat ou Takhmira) étaient admises du fait de leurs aspects non profane, thérapeutique et l’inconscience de leurs sujets, les danses profanes étaient des rituels où les danseurs(les corps) ne se mélangeaient jamais. Les danseuses (corps) ne se donnaient pas en spectacle à l’exception du Nakh des régions de Nefzaouas Ouerghemmas : Où c’est la chevelure qui se substitue au corps, sinon les femmes mélangent leurs corps entre elles. Par contre les hommes paradent dans leurs danses spécifiques (Zgara, Miz, Hammedi et autres Gougou) assistant leurs corps de «béquilles» cannes bâtons ou fusils etc… Le corps enveloppé dans les houlis et autres vêtements amples arrive difficilement à parler, il balbutie, il n’est pas exposé il est suggéré. Il raconte une histoire connue et non vécue, les mouvements du corps des uns et des autres, ont du mal a les distinguer d’entre eux.
Longtemps la danse – et avec un degré moindre la musique, la chanson et le théâtre- comme une activité de gens aux moeurs légères et non fréquentables, n’était pas revendiquée comme un besoin individuel comme le sport et la gymnastique car l’image que renvoyaient les spectacles de variétés ou les films égyptiens renforçait dans la société cette opinion négative. Les spectacles bon marché des cafés chantants pendant le mois de ramadhan n’amélioraient guère cette appréciation sévère à en juger par les sobriquets donnés à certaines danseuses: Zohra lambouba ou Aicha Chok el ‘Osbane.
Danse, travestissements et jeux de rôles
Face à l’interdiction du mélange des genres dans la danse, la société traditionnelle s’est crée des parades assez originelles empruntant au jeu de rôles ses fondements et techniques, ces parades ne se limitaient pas à la danse mais s’étendaient à divers jeux de divertissements populaires. La parade consistait principalement à établir une convention entre les participants : D’une part les « acteurs/actrices » et d’autre part les « spectateurs/spectatrices » dans chacun des deux groupes (hommes et femmes). Dans chaque ensemble ou groupe social d’un village ou d’un quartier ou d’un groupe de familles, se distinguent une ou plusieurs personnes pour leur habileté au jeux ou au chant ou à la « comédie » ou à la danse etc… Ses personnes finissent par devenir les « acteurs » attitrés pour tel ou tel rôle, certaines vieilles jouaient les rôles des tasrafiltes sorte d’épouvantails vivant qui terrorisaient les gamins les jours de l’aids, d’autres vieillards jouaient le rôle des dromadaires etc…
Pendant les mariages certains jeunes gens ou jeunes filles se travestissaient dans le sexe opposé au leur, les filles se dessinaient des moustaches et s’habillaient en garçons alors que les garçons se grimaient en dames avec des maquillages traditionnels (Dabgha Harkous Khol et diverses poudres et rouge à lèvres) Comme au théâtre populaire italien les personnages ont les traits « grossiers » et les costumes proches du burlesque l’objectif étant de créer une atmosphère de joie de rire et de bonne humeur. Toutefois ceci n’exclut pas des sous entendus non dits ou secrets de polichinelles, comme les tendances homosexuelles de certains danseurs/danseuses que la communauté admettait avec beaucoup de tolérance et de bonne humeur. Ces manifestation largement répandues dans les régions de l’intérieurs et des grandes villes ont persisté jusqu’aux années 60 Tunis et ailleurs. Par ailleurs, dans certains milieux et quartiers, il n’est pas exclu de rencontrer des phénomènes « carioca » parmi les homosexuels des villes ou des bas fonds des quartiers mal famés, ces « cariocas » donnaient des spectacles de danses dans les cafés et tavernes.
Après l’indépendance et malgré l’arrivée des danseuses prestigieuses Aicha et Mamia les compagnes de scènes de Smail Hattab ou les sœurs Zina et Aziza les partenaires de Hamadi Laghbabi, l’image de la danse demeurait difficilement acceptable aux yeux des tunisiens moyens, c’est seulement grâce aux clubs de la jeunesse scolaires dans les lycées ainsi que les clubs des auberges de la jeunesse que va s’amorcer l’intérêt ensuite un engouement relatif d’une partie de la jeunesse pour la danse aussi bien traditionnelle ou orientale, que classique et occidentale.
La danse des hommes entre hommes dans le rituel du mézoued de la première moitié du XXème était une danse de marginaux une sorte de prolongement d’un paraître fallacieux et qui ne convainc guère. La danse de la génération née avec l’indépendance est la prise de parole du corps dans un espace social où la liberté de parole est interdite. Le corps ne fait plus honte, il est une affirmation d’être et d’un vécu à la fois douloureux par les frustrations subies, et jubilatoire dans le partage avec ses congénères.

mardi 7 septembre 2010

Soufisme, confréries, Zaouïas et expressions Soufis

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Sidi Bel Hassen Chadhouli




Les expressions mystiques sont d’une façon générale sinon exclusive liées à un saint patron(Walii) et à une confrérie maraboutique (Tarîqat) qui lui sont dédiées, donc à une Zaouïa qui est l’objet d’une ou plusieurs Ziaras hebdomadaires mensuelles et une kharja annuelle.
La Zaouïa est une sorte de sanctuaire, où les gens viennent se recueillir, se confier et chercher sérénité réconfort et soulagement, par le biais des prières qu’ils adressent à Dieu par l’intercession du « saint ».
Il y a lieu de distinguer, en termes d’importance, les Zaouïas principales dites mères et les Zaouïas secondaires. L’importance d’une Zaouïa est tributaire de son rayonnement dans son milieu social ainsi que de l’influence et du positionnement de la confrérie dont elle relève.
Les « Tourbas » attenantes à certaine zaouïas servent à inhumer les dignitaires ou descendants du saint fondateur.
Historiquement la mouvance soufi en Tunisie a eu une période d’un soufisme « individuel » des « Awlia’ fondateurs ». Elle remonte au 6ème siècle de l’hégire (12ème s) avec les noms illustres de A.H. Chadhouli, A.Medien Chouâib, Abou Ali Essouni, etc…Le passage du soufisme de pratique individuelle à une « organisation » et pratique collective, donc d’une mutation d’un soufisme d’idée et de pensée abstraite à un soufisme populaire de « rituels » fétichiste et ostentatoire, au 9ème s.h.(15ème s), va donner lieu à un développement de traditions de Ziaras, de cérémonies de chants et de danses (Hadhra) , d’instauration de système de « promesses » et de donations.
C’est ainsi que l’on va assister à la naissance des confréries comme puissance économique et sociale locales et parfois même nationales et extra nationales, dans un contexte politique caractérisé par la faiblesse du pouvoir central.
Bien que ce passage au soufisme populaire particulièrement dans les campagnes ait favorisé une meilleure diffusion de la religion musulmane par la création de « Kouttabs », il est indéniable que cette adhésion des masses de démunis était une sorte de quête « d’asile » et « d’immunité » dans une période historique marquée par l’insécurité et l’injustice.
Dés lors, la société sera régie par le triptyque du pouvoir qu’est l’Etat, la Tribu et la Confrérie.
Certaines analyses expliquent l’expansion du soufisme populaire au Maghreb en général comme une triple revanche de minorités opprimées :
· celle de l’amazigh par l’intégration de certaines croyances païennes.
· celle de la femme, par sa prise en charge d’une pratique « religieuse » plus autonome et plus affirmée.
· celle des Noirs, dont l’islamisation(en tant qu’esclaves) ne pouvait être que superficielle, par un rappel de leurs anciennes croyances africaines.
Six grandes confréries principales se sont partagé l’espace social et politique tunisien, tout au long des siècles derniers. Leur puissance économique, leur implantation et leur influence vont constituer leurs atouts dans toute négociation avec le pouvoir husseinite ainsi qu’avec la puissance coloniale.
· La Kadiria : Fondé par Sidi Abdelkader Al Jaylali en Irak elle est la Tarîqat de l’empire Ottoman donc du pouvoir Husseinite (jusqu’à une certaine époque). Elle est la plus ancienne et la plus importante en terme d’adhérents (Atbaâ) qui comptaient à l’époque coloniale prés de 118000, ainsi que 109 Zaouïas réparties sur tout le territoire du pays, la Zaouïa mère est situé a Menzel Bouzelfa ; la plus influente est celle du Kef connue historiquement pour avoir pris le parti de l’invasion coloniale en 1881.
· La Rahmania : Dont la fondation remonte au 18ème siècle, avec la Zaouïa du Kef, ses adhérents comptent 114000 avec un réseau de 47 Zaouïas. C’est une confrérie qui s’est illustré par ses positions hostiles au pouvoir beylical injuste lors de la révolte de 1864, et contre l’invasion française en 1881.
· L’Îssaouia : C’est la confrérie du « bon petit peuple » de Tunisie, fondée par Sidi Mohammed Ben Îssa à Meknès (Maroc). Célèbre pour son rituel extraordinaire et spectaculaire dans la partie de la transe avec des scènes de « fakirisme » d’avaleurs de lobes de cactus, de scorpions et autres tessons de verres etc ; au début du siècle précédant elle comptait plus de 37000 adhjérents et 144 Zaouïas.
· La Chadhoulia : Fondée par Sidi Abul Hassan Chadhouli. La Zaouïa mère( Maqam) de la confrérie est érigée sur la colline de jellaz ; elle a d’autres Zaouïas dont les maqams de la Manoubia, de Sidi Fathallah, de Sidi Mahrez, de Sidi Abdallah Cherif et de Sidi Ali El Hattab.
· La Tijania : Confrérie arrivée d’Algérie au milieu du 19ème s. par l’entremise d’Ibrahim Riahi qui en était le premier adepte ; son mausolée de la rue portant son nom est devenu la 1ère Zaouïa en 1850, et elle devient la tarîqat de la dynastie husseinite jusqu’à son extinction.
C’est une confrérie controversée du fait de son allégeance inconditionnelle à la France, ce qui lui a permis de s’implanter particulièrement dans le sud tunisien (Territoire militaire)
· La Madania : Confrérie d’origine Ottomane fondée par Dhafer el Madani au milieu du 19ème, son implantation en Tunisie (Sfax) est tardive, elle enregistre un rayonnement notable dans la région de Makthar.
D’autres confréries de moindre envergure telles la Slaimia, l’Âzzouzia, l’Âroussia, l’Âmiria (Âouamria), l’Âlouia et la Taïebia attirent à leur tour nombre d’adeptes.
Pendant des siècles les confréries avaient assis leur puissance et leur légitimité d’abord de leur patrimoine foncier et agricole constamment fructifié par les donations en Habous de ses adhérents (Atbaâs ). La dissolution des Habous au lendemain de l’indépendance a coupé les ressources à l’ensemble des structures confrériques annonçant ainsi la fin d’une époque.
Toutefois sur le plan social, le besoin de se confier à une force spirituelle, a permis de maintenir une relation vivace avec les zaouïas locales parfois en dehors de toute obédience confrérique ayant des velléités concurrentielles avec les pouvoirs religieux et politique. C’est le cas de tout le tissus maraboutique actuel qui continue malgré la modernisation sociale et politique, ainsi que la généralisation de l’enseignement, à drainer des milliers de citoyens aux cérémonies et rituels soufis.
Un parent pauvre du chant soufi : Le mézoued des faubourgs de Tunis :
Il s’agit du corpus sacré et populaire différent du sacré soufi, même si les saints invoqués sont souvent communs, c’est un soufisme pauvre dénué de la dimension spirituelle « il répond à l’aspiration des couches populaires à une religion simple de convictions avec des rituels chauds et trépidants Les couches populaires trouvent en ses représentants (c-a-d les saints et les marabouts) les intercesseurs auprès de Dieu et des protecteurs qui les assistent dans l’épreuve Le besoin était si pressant à la distraction et à l’assistance dans une époque caractérisée par sa rigueur et riche en calamités[1] »
Ce répertoire est prétexte à un défoulement corporel physique et psychique, par le biais de la danse. Le répertoire modal de la musique proprement dite des chansons du mezoued estt typiquement citadine et constitué des Tobôo sika, h’ssine rast dhil, rast abidi, mhaîar irak, ardhaoui, etc…

De 1930 à 1950 la Tunisie enregistrait une croissance de sa population de 2.100.000 à 3.500.000 habitants, la pression démographique et le flux continu de l’exode rural poussaient les limites de la ville de Tunis à l’extérieur de la deuxième ceinture de remparts vers: Tayarat, Bir Kleb, Méllassine, Sabkha, Essayda, Hofret Guerrich El Korbosli Borj Ali Raïs, Dubosville, La Cania, Garjouma, Kabbaria et Jebel Lahmar, où poussaient comme des champignons les gourbis en pisé et les baraquements en tôles, Dans Ces bidonvilles, s’entassaient des familles venues de toutes parts de l’intérieur du pays par dizaines. Des cités «cloaques» sans eau courante ni électricité où se concentraient la misère et la détresse la plus extrême. Elles constitueront désormais un terrain fertile à la propagation des chants du mezoued. Spectacle à bon marché et fonctionnant sur le principe du «don» (rechk), il remplira la fonction sociale d’animation des fêtes de mariage et circoncision.
La chanson du mezoued puisait son énergie et sa vitalité auprès de ses fans qui en faisaient un signe de reconnaissance mutuelle et une sorte de cri de ralliement des ouled echââb en opposition aux ouleds nanati, par des manifestations ostentatoires et tapageuses de la virilité dans la danse, et l’allure physique.
Une époque nouvelle avec des jours meilleurs, s’ouvrait devant la chanson du mezoued, malgré les pronostics des analystes les plus optimistes des années 70.
Avec l’expansion industrielle et d’exode rural, Les années 80, verront l’émergence de nouveaux pôles d’urbanisation spontanée (Ettadhamen, Mnihla, Douar hicher, les alentours de l’Ariana, Kram ouest et 5 Schneider), sont autant de facteurs d’épanouissement de la chanson du mézoued.
Le développement des technologies bon marché des appareils et supports d’enregistrements , constituera un facteur de rapprochement entre les producteurs et les consommateurs de la chanson du mézoued. La croissance du marché est spectaculaire, de nouveau noms percent dans le sillage de Habbouba le précurseur, tels: Farzit, Kahlaoui, Errouge, Tellili Lotfi Jormana et d’autres.
Le mega spectacle « Nuba » donnera un autre départ à la chanson du Mezoued, Hedi Donia fera un véritable retour aux sources du chant soufi populaire.


[1] Mohamed El Hedi Cherif in Tarikh Tounes.