mardi 7 octobre 2014

L'intelligentsia et la culture populaire



Bonnes feuilles de mon livre:"La saga du mézoued: plus d'un demi siècle de chanson de mézoued en Tunisie"




L'intelligentsia tunisienne au lendemain de l'indépendance n'était pas monolithique et entièrement homogénéisée, elle est issue de différentes écoles de formation et de courants de pensées et de cultures divers. Les écoles coraniques, les écoles Franco-arabes, et les écoles françaises ont participé chacune dans les zones et régions de son influence à la formation des générations des hommes qui vont avoir la charge de l'édification de la nation nouvelle, dans l'enseignement, la justice, l'administration, l'équipement, l'industrie, la culture, l'information etc.… Ces élites vont contribuer à leur tours et parfois avec l'assistance des coopérants étrangers à la formation des jeunes écoliers de 1956.
Entre les Sadikiens, les Zeytouniens, ceux de "l'Arabe médiocre de Carnot", ceux qui revenaient du proche orient et ceux qui rentraient d'Europe, l'attitude  de l'intelligentsia vis-à-vis des expressions populaires était pratiquement identique: Il s'agissait pour eux au meilleurs des cas de manifestations folkloriques et au pire d'un état d'arriération et de sous développement. Ces "tares" sociales sont appelées à disparaitre avec le développement et le progrès du pays. Les élites se retrouvent sur une même position de déni des expressions populaires soit d'un point de vue moral ou bien du point de vue du progrès et de la modernité.
Si l'attitude de l'intelligentsia traditionnelle (ou ce qu'il en restait) s'inscrivait dans la continuité de la pensée conservatrice de la période coloniale dans un mélange de morale "religieuse" et de rejet économique ou géographique, l'attitude des élites moderniste était à la limite de la schizophrénie sociale, dans la mesure où leurs origines sont souvent populaires rurales et paysannes. Cette attitude n'était pas propre aux élites du /au pouvoir, elle s'étendait aussi bien aux franges se réclamant de la gauche ou de l'extrême gauche. Et des nationalistes arabes.
Confinés dans le statut dévalorisant du "folklore", les expressions et arts populaires sont délaissés au peuple tout en étant exhibés comme un produit exotique aux touristes, ces arts ne sont guère intégrés dans le corpus de la culture nationale dans son acception moderniste: celle qui est une "image" de l'état national, dans classification, le Mézoued occupait le bas de l'échelle du folklore.
Il est tout à fait naturel que la génération suivante grandisse avec cette vision d'une partie de son identité.
Ceci va se traduire principalement dans le champ culturel qui ne reconnaît à la "culture populaire"  que le vocable "Folklore"
Le comble que certains  parmi les uns et les autres ne s'empêchaient pas de "s'encanailler" dans des soirées privées de Mézoued.
Au début des années 70, une évolution notable se fait sentir quant à l'intérêt porté à la culture en général et à la culture populaire chez certains jeunes étudiants ou chercheurs sympathisants avec les idées de progrès et de gauche. Une amorce de retour sur soi et les éléments de soi s'enclenche par le désir de connaitre le pays profond, au début par intérêt sociologique et anthropologique, ensuite par motivations politiques et intellectuelles nées de la fréquentation de certains professeurs des lycées ou de l'université. Une sorte d'éveil et recherche des éléments identitaires dans l'architecture, la culture, les traditions bref tout ce qui participe à répondre à la question : Qui sommes nous?
Quelques années auparavant  et avec la création de la troupe régionale de théâtre su Kef, une amorce similaire  voit le jour loin des préoccupations académiques ou intellectuelles se traduisant par une mise en valeur des éléments de la culture du terroir  dans le travail scénique et dramaturgique.
Les idées traversent les continents, à l'image des idées politiques les idées nouvelles qui traversent le théâtre de Piscator à Brecht à Kurt Weill  Jean Vilar à Artaud à Planchon ces noms traversent  les pays comme Marx, Engels, Lénine Trotski et Mao.
Après la troupe du Kef vint la création de celle de Gafsa bastion d'ouvriers mineurs, ce fut la aussi une découverte du terroir des Hmammas les drames des galeries  avec les créations de Mohamed Ali El Hammi suivie en 74 de Zézia.
Cet intérêt pour des éléments du patrimoine d'une part dans le milieu estudiantin et dans celui de la culture et la création théâtrale d'autre part, n'est pas pure coïncidence, bien au contraire c'est une résultante naturelle d'une certaine école commune au deux milieu c'est cette école médiane Sadikienne capable par ailleurs du meilleur et du pire, et aussi de l'influence d'un grand nombre de maîtres enseignants qui ont su donner à certains les outils de satisfaction de la curiosité intellectuelle.
D'autres influences inattendues et pas du tout évidentes ont joué probablement un rôle dans l'éveil de certains à ces aspects de la culture populaire, la culture de la pauvreté : Il s'agit des expériences maghrébines celles du TNA d’Alger et surtout celle de Taieb Seddiki avec son théâtre de Masrah Ennas  et les groupes des Jilalas et des Ghiwens.

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