L'intelligentsia tunisienne au lendemain de
l'indépendance n'était pas monolithique et entièrement homogénéisée, elle est
issue de différentes écoles de formation et de courants de pensées et de
cultures divers. Les écoles coraniques, les écoles Franco-arabes, et les écoles
françaises ont participé chacune dans les zones et régions de son influence à
la formation des générations des hommes qui vont avoir la charge de
l'édification de la nation nouvelle, dans l'enseignement, la justice,
l'administration, l'équipement, l'industrie, la culture, l'information etc.…
Ces élites vont contribuer à leur tours et parfois avec l'assistance des
coopérants étrangers à la formation des jeunes écoliers de 1956.
Entre les Sadikiens, les Zeytouniens, ceux de
"l'Arabe médiocre de Carnot", ceux qui revenaient du proche orient et
ceux qui rentraient d'Europe, l'attitude
de l'intelligentsia vis-à-vis des expressions populaires était pratiquement
identique: Il s'agissait pour eux au meilleurs des cas de manifestations
folkloriques et au pire d'un état d'arriération et de sous développement. Ces
"tares" sociales sont appelées à disparaitre avec le développement et
le progrès du pays. Les élites se retrouvent sur une même position de déni des
expressions populaires soit d'un point de vue moral ou bien du point de vue du
progrès et de la modernité.
Si l'attitude de l'intelligentsia traditionnelle (ou ce
qu'il en restait) s'inscrivait dans la continuité de la pensée conservatrice de
la période coloniale dans un mélange de morale "religieuse" et de
rejet économique ou géographique, l'attitude des élites moderniste était à la
limite de la schizophrénie sociale, dans la mesure où leurs origines sont
souvent populaires rurales et paysannes. Cette attitude n'était pas propre aux
élites du /au pouvoir, elle s'étendait aussi bien aux franges se réclamant de
la gauche ou de l'extrême gauche. Et des nationalistes arabes.
Confinés dans le statut dévalorisant du
"folklore", les expressions et arts populaires sont délaissés au
peuple tout en étant exhibés comme un produit exotique aux touristes, ces arts
ne sont guère intégrés dans le corpus de la culture nationale dans son
acception moderniste: celle qui est une "image" de l'état national, dans
classification, le Mézoued occupait le bas de l'échelle du folklore.
Il est tout à fait naturel que la génération suivante
grandisse avec cette vision d'une partie de son identité.
Ceci va se traduire principalement dans le champ culturel
qui ne reconnaît à la "culture populaire" que le vocable "Folklore"
Le comble que certains
parmi les uns et les autres ne s'empêchaient pas de
"s'encanailler" dans des soirées privées de Mézoued.
Au début des années 70, une évolution notable se fait
sentir quant à l'intérêt porté à la culture en général et à la culture
populaire chez certains jeunes étudiants ou chercheurs sympathisants avec les
idées de progrès et de gauche. Une amorce de retour sur soi et les éléments de
soi s'enclenche par le désir de connaitre le pays profond, au début par intérêt
sociologique et anthropologique, ensuite par motivations politiques et
intellectuelles nées de la fréquentation de certains professeurs des lycées ou
de l'université. Une sorte d'éveil et recherche des éléments identitaires dans
l'architecture, la culture, les traditions bref tout ce qui participe à
répondre à la question : Qui sommes nous?
Quelques années auparavant et avec la création de la troupe régionale de
théâtre su Kef, une amorce similaire
voit le jour loin des préoccupations académiques ou intellectuelles se
traduisant par une mise en valeur des éléments de la culture du terroir dans le travail scénique et dramaturgique.
Les idées traversent les continents, à l'image des idées
politiques les idées nouvelles qui traversent le théâtre de Piscator à Brecht à
Kurt Weill Jean Vilar à Artaud à
Planchon ces noms traversent les pays
comme Marx, Engels, Lénine Trotski et Mao.
Après la troupe du Kef vint la création de celle de Gafsa
bastion d'ouvriers mineurs, ce fut la aussi une découverte du terroir des
Hmammas les drames des galeries avec les
créations de Mohamed Ali El Hammi suivie en 74 de Zézia.
Cet intérêt pour des éléments du patrimoine d'une part
dans le milieu estudiantin et dans celui de la culture et la création théâtrale
d'autre part, n'est pas pure coïncidence, bien au contraire c'est une
résultante naturelle d'une certaine école commune au deux milieu c'est cette
école médiane Sadikienne capable par ailleurs du meilleur et du pire, et aussi de
l'influence d'un grand nombre de maîtres enseignants qui ont su donner à
certains les outils de satisfaction de la curiosité intellectuelle.
D'autres influences
inattendues et pas du tout évidentes ont joué probablement un rôle dans l'éveil
de certains à ces aspects de la culture populaire, la culture de la pauvreté :
Il s'agit des expériences maghrébines celles du TNA d’Alger et surtout celle de
Taieb Seddiki avec son théâtre de Masrah Ennas
et les groupes des Jilalas et des Ghiwens.
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