L’exemple des chants et danses
mystiques et de transe thérapeutique du Thalmud de Sidi Bou Ali [1].
Ali SAIDANE
Le « balad el
Jarid » bien que situé au nord est
de la cinquième province du Maghreb : Le grand Zaab ou Qastillia,
il n’en constitue pas moins :
·
Son centre citadin par ces ville de Tozeur et
Nafta,
·
Le pôle d’un échange commercial entre l’Afrique et
les nord de l’ifriquia,
·
Un haut lieu du savoir à la fois spirituel et séculier.
·
Le passage obligé sur l’axe Ghardaïa, ourjellane (Ouargla) Touggourt oued
Souf au sud, Gafsa, Gabes, Djerba, et
Tripoli, à l’est et Sfax et Tunis au nord.
Longtemps bastion des
kharijite Ibadites des tribus berbères Mzab, le Balad el Jarid fût un relais
capital de la deuxième route des d’esclaves africains, avec la route orientale
de Ghadames Djerba toutes les deux contrôlées par le négociants Ibadites.
L’arrivée de Sidi bou
Ali aux 13ème siècle correspond à une période de l’histoire
de l’Ifriqiya médiévale caractérisée à la fois par l’exode des savants, le
recul des sciences théologiques et mystiques et surtout par la recrudescence de
l’insécurité et la prolifération des mouvements schismatiques d’obédience
Kharijite particulièrement ibâdite, à la suite de la grande invasion Hilalienne
qui à déstabilisée les équilibres précaires des cités du pays. Sidi Bou Ali à
été surnommé Assunni par ses adeptes et fidèles pour la grande ténacité avec
laquelle il défendait le rite sunnite face aux mouvements schismatiques, c’est
ainsi qu’il s’est forgé la notoriété d’un grand savant doublé d’un grand
combattant et surtout d’un grand défenseur des causes des populations démunies
et soumises aux diverses exactions. Par ses multiples voyages et contacts avec
les grands exégètes de l’époque (Sidi Bou Saïd el beji, Sidi Abdelaziz Al
Jarrah, Abu Madien Al Ghouth et Youssef Addahmani…) Sidi Bou Ali à acquit une
dimension charismatique qui a largement dépassé la région du jerid et un
respect pour ses positions justes et modérées même par ses adversaires
Ibadites. Ses actions et son parcours dans une vie longue de 117 ans ont fait
de lui déjà de son vivant un saint aux « miracles attestés» (Karamats et
manakebs) par ses adeptes et disciples.
Blotti au creux de l’oasis luxuriante de Nafta, la zaouïa mausolée de Sidi bou
Ali attire les pèlerins qui lui vouent une grande vénération non seulement du
jerid, mais aussi de Gabes, des hmamma, du kairouannais, du sahel et de certaines régions d’Algérie., qui se
manifeste par des pèlerinages, des promesses (Ouâda) et des offrandes de toutes
sorte.
Le Thalmud est un ensemble de chant et de danse mystiques et de transe thérapeutique lié à la confrérie du saint de Nefta. Composé
d’une cinquantaine de chanteurs et percussionnistes, l’ensemble perpétue la
tradition du chant soufi et des danses de transe thérapeutique propre à la
région Au-delà de ses aspects spectaculaires, l’observation des divers rituels de l’ensemble, le Thalmud, nous interpelle à plus d’un titre par ses diverses facettes musicales rythmiques et incantatoires. A la fois éloignées les une des autres, mais si harmonieusement intériorisées par les Chaouchs Qadim les maîtres de la hadhra, les membres de l’ensemble de chant, les percussionnistes, tambourineurs et les simples adeptes et danseurs, que l’on ne peut que constater la capacité de ce microcosme, génération après génération, ainsi que celle des la garde rapprochée du rituels (les mokaddems et chaouchs qadims) à intégrer depuis des siècles
·
Les traditions soufis
arabo- musulmanes propre à l’ifrikia dans le strict respect de l’orthodoxie
sunnite.
·
Les influences ottomanes
véhiculés par les soldats et janissaires, adeptes de la confrérie Qadiria.
·
Les influences d’origine
africaine transmis par les descendants d’anciens esclaves.
·
Des résidus de pratiques
païennes berbères.
·
Et enfin, les résurgences
syriaques, malgré le doute et le flou qui persiste dans nos recherches quand à l’origine de cet élément.
Les composantes du corpus :On observe trois rituels indépendants
1. Le moment fort,
socialement parlant se produit lors du rassemblement annuel qui a lieu lors de la Kharja de 3ème jour de
l’aïd el Kabîr, cet événement rassemble des milliers de pèlerins venus de
toutes les régions de Tunisie et même d’Algérie pour communier la veille dans
le sanctuaire et aux alentours et participer le lendemain à la grande
procession rythmée par les percussions et les chants mystiques aux grand
bonheur des disciples hommes et femmes, qui se laissent aller à la transe
collective.
Le cortège traverse la ville depuis son entrée
pour atteindre la Zaouïa
vers le milieu de la journée dans une forêt d’étendards aux couleurs
chatoyantes.
Cette procession se distingue par quelques
aspects assez insolites :
·
l’utilisation de certains
marcheurs de chaussures en poil de chèvres ou de chaussettes épaisses ainsi que
leur « phobie » des chaussures en caoutchouc ou en plastique.
·
La grande fréquence des
scènes de « Turki » entre marcheurs et particulièrement les femmes.
Ces scènes se terminent toujours par des fraternisations chaleureuses.
2. Les madha ou Dhikr :
La madha est une suite de
chants hiératiques à l’honneur du prophète et du saint, elle revêt un caractère
solennel et s’inscrit tant par ses registres et modes musicaux que rythmique
dans la tradition des chants soufis arabo musulmans tunisiens, mais ne manque
pas de coloration typique quand au
phrasé du chant et du parler propre au jérid. Le chant emblématique de la madha
est le poème :
نا بديت في الكلام نقاني و نزيد في النظام *** خيره بو علي ما جاني و ما
جابه منام
J’ai commencé à ordonner mes mots en leurs
donnant les rimes
Pourquoi donc Bou Ali ne m’a pas rendu visite,
ne serait ce qu’en rêve !
Les madhas sont exécutées en prélude à la hadhra comme préambule sacré à
la hadhra
3.
hadhra :
La hadhra
proprement dite se compose de 3 éléments :
La hadhra débute par la Îdda qui est une suite de chant vocal de dhikr
sans accompagnement rythmique entre deux groupes de l’ensemble, probablement
que le terme Îdda signifie la notion d’énumération. L’exécution mélodique est
caractéristique par son phrasé propre bien que similaire aux ouvertures de la
Îssaouya et Qadiria quand à sa forme non rythmée, mais elle ne renferme pas les
modes citadins du corpus musical savant tunisien encore moins populaire rural.
C’est une psalmodie sinusoïdale ayant son rythme interne marqué par
l’alternance d’accents toniques et légers d’une part et des syllabes musicales
longues et brèves.
La Îdda se présente comme une mise en
condition de l’esprit et du corps qui
intériorisent toute la mystique du chant et se laissent emporter par sa
vague afin de se préparer à la transe.
Le Tourqui, le Âjmi et le seryani : c’est un instant crucial du rituel au cours duquel le chaouch qadim
le maître du rituel soumet ses compagnons à une sorte de « contrôle des
connaissances » dans une langue ésotérique qui emprunte au turque,
séryani, âjmi et autres résidus langagiers africains, un mélange de mots ou
onomatopées dont la fonction mystificatrice est évidente. L’échange prend parfois des intonations agressives et
tendues, le chaouch Qadim donne l’impression d’être dans un état second comme
habité par un esprit malin son corps agité est pris par des spasmes et les yeux
révulsés, il harcèle ses subordonnés de questions auxquelles ils répondent
certains avec soumissions et d’autres avec insolence, toutefois les échanges se
terminent par une fraternisation et fortes accolades en prononçant
« assalmou âalaykom ». Au cours de ces instants du tourqui, on sent la montée des tensions à leurs
paroxysmes chez les adeptes de la transe, ils attendent avec impatience le
début brusque de la khamra.e signal de serdah berdah
La transe : takhmira ou khamra est la composante profane du rituel,
c’est au signal de serdah berdah que se
libèrent les bendirs et tangoura ou kurkutu dans les rythmes ascendants dans le
nuage de jawi qui s’élève des couscoussiers en terre cuite et remplis de
braise, que les assistants du chaouch qadim secouent vigoureusement aux visages
des candidat à la transes.
Les percussionnistes chanteurs et secoueurs de
couscoussiers en braises emportent spectateurs et danseurs dans un tourbillon
de sonorités, rythmes effluves d’encens pendant une grande partie de la soirée
au cours de la quelles certains « possédés » n’hésitent pas à marcher sur des
charbons ardents ou se faire griller le dos et les membres par une branche de
palmier en flammes.
Les stratifications successives des diverses
cultures qui se sont succédées au baled al jerid, ainsi que le métissage qui en
est sorti, la persistance des traditions païennes et africaines dans les
expressions non seulement du Thalmud mais aussi de la banga du rituel de sidi
marzoug, font de cette région avec DJerba le véritable réceptacle d’activités de
création, de préservation et de diffusion de produits culturels où l’arabité,
l’amazighité et la négritude devrait constituer l’ossature principale.
Les diverses composantes aussi bien matérielles
qu’immatérielles de ces expressions sont si vivaces et si intériorisée comme
signes identitaire par les populations, sont de nature à encourager dans
l’explorations de ces voies qui ne peuvent que consolider l’attrait naturel des
oasis du jerid et raffermir son image
sur le marché d’un tourisme en quête non plus d’exotisme dépassé, mais de
découverte consciente et intelligente.
[1] Texte de ma communication
au colloque du festival : Tozeur : L’Orientale Africaine le
19/04/2008
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