Il s’agit du corpus musical et poétique ramené par les vagues successives des réfugiés andalous chassés par la reconquista chrétienne d’Espagne et du Portugal (12-17ème siècles.). Les premières vague, composées surtout d’une élite de lettrés et de valeureux guerriers se sont installés à Tunis grâce aux bonnes relations entre le pouvoir Hafside et la ville de Séville. C’est ainsi que ces réfugiés ont été intégrés dans l’administration hafside , alors que les vagues résultants des expulsions massives des15,16 et 17èmes siècles étaient essentiellement composées d’agriculteurs et d’artisans qui se sont installés dans les villages du nord ( Cap bon, vallée de la Medjerda, Bizerte et ses environs,) ou bien ils en ont construit leurs propre ville (Testour).
Les Morisques, en fonction de leurs origines en Andalousie, avaient conservé leurs traditions poétiques et musicales qu’ils se sont transmis à l’instar de leurs autres traditions agricoles, arboricoles, artisanales, architecturales ou culinaires. Ce qui a permis de préserver les noubats andalouse appelées désormais « El Malouf » CàD ce qui est coutumier, familier.
Pendant des siècles ce corpus avait fait l’objet de transmission rigoureuse de génération à une autre, dans chaque village ou région, ce qui a donné autant de versions des 13 noubas du corpus.
L’interpénétration du chant andalou profane avec les chants soufis fera en sorte que c’est au sein des zaouïas confrériques que ce corpus sera conservé, retransmis et probablement transformé ou déformé.
Expression « communautaire » et propre aux populations d’origine andalouse, le Malouf n’a jamais été pris en charge par le reste des populations tunisienne de l’arrière pays malgré la proximité des villages andalous des terroirs ruraux. Sa spécificité urbaine (Tunis, Sfax, Kef) résulte de l’adoption des tarîqat (Îssaouia, qadiria, Sleymia etc…) des structures des noubas andalouse sur une poésie mystique que l’on définit par : « Les paroles sont du sérieux mais la façon c’est du Malouf » الكلام جد والصنعة مالوف" "
Au début du 20ème siècle, ce corpus musical et poétique, était en pleine déliquescence résultant de l’affaiblissement des confréries soufies jadis puissantes et prospères ; face à cette situation et grâce à l’initiative du Baron Rodolphe d’Erlanger que l’idée de l’étude et de la préservation de « La musique populaire tunisienne » fut lancée.
Cette entreprise colossale fut couronnée par :
• la tenue du congrès de musique arabe du Caire en 1932,
• et surtout la création de la Rachidia par des hommes de bonne volonté, affligés par la dégénérescence des expressions musicales et poétiques tunisiennes dominées par le courant des chansons des bas fonds et des milieux des Tavernes de « Sidi qadous et Sidi Merdoum ». La situation était d’autant grave que l’industrie du disque participait activement à la diffusion de ces genres de chansonnettes amorales et dépravées.
• Enfin par la rédaction par d’Erlanger des premiers tomes de son œuvre colossale sur la musique arabe, achevée par Manoubi Senoussi.
C’est grâce aussi au baron, qui a dépêché le musicien syrien Ali Darwich, un « Notagi » qui a commencé simultanément la transcription des noubas ainsi que l’initiation et l’apprentissage de musiciens tunisiens au solfège.
Outre l’archivage et la transcription des différente versions des noubas du malouf, la Rachidia a rassemblé et a constitué un orchestre à la manière moderne intégrant des instruments occidentaux (Violon et alto) et orientaux (qanun, luth oriental à 5 ou 6 cordes et nay) tout en conservant les instruments traditionnels (Luth arbi à 4 cordes rebeb et nagharat).
La Rachidia a été le creuset d’une nouvelle création musicale tunisienne dont l’objectif était de contrebalancer la chansonnette de bas niveau, à partir d’un choix de poésie, airs et chansons du patrimoine rénovées et adaptées à l’orchestre ainsi que le la poésie contemporaine mises en musique par les compositeurs tels que Khemaies Ternane et Mohamed Triki et interprétées par la grande cantatrice Saliha, Fethia Khairi et Chafia Rochdi.
L’œuvre de la Rachidia à débouché sur une transcription de la version consensuelle des 13 Noubats du corpus du Malouf, à partir des versions des différentes « écoles » et régions.
Au lendemain de l’indépendance, et grâce aux concerts hebdomadaires que donnait l’orchestre de la Rachidia à son local, Le Malouf s‘est popularisé parmi la jeunesse scolarisé et dans les couches moyennes lettrées.
Certaines pièces « culte » du genre « Chghol » ou « fondous », telles « Na’ouret Ettobo’ou » ou bien « Chouchana », « Nemmit » et « Ah ‘ala ma fat » ont le plus contribué à la diffusion du Malouf.
C’est certainement au relai qu’a constitué la radio d’une part et l’initiation musicale dans les collèges et lycée, d’autre part, que revient le mérite de transformer le Maluf d’expression de la minorité des descendants andalous vers une expression à laquelle les tunisiens s’identifient dans leur majorité.
La poésie chantée des noubat, est du registre aussi bien littéraire donc des qassaid que des azjals et mouwachahat ou bien de la poésie dialectale tunisienne. C’est une poésie qui célèbre les thèmes de l’amour, la nature ou bien le vin avec de temps à autre des retours au thème de la spiritualité religieuse.
Les 13 modes (Tobo’) musicaux du corpus sont dans l’ordre convenu par la tradition :
1- Dhîl ذيل
2- ‘irâq عراق
3- Sikah سيكاه
4- hsîn حسين
5- Rasd رصد أو الرَّاست
6- raml al maya رمل الماية
7- Nawâ نوى
8- asba‘ayn أصبعين
9- rasd al-dhîl, راست الذيل
10- raml,رمل
11- asbahân,اصبهان
12- mazmûm,مزموم
13- mâya.مايه
Chaque nouba est composée d’une suite de pièces musicales instrumentales et chanté selon la structure suivante :
La partie introductive composée de rythmes lents, elle est composée :
• de l’istiftah (الاستفتاح)et du m’sadder (المصدر ) , deux éléments instrumentaux.
• ensuite el Abiet (الابيات ) deux ou trois vers dans des thèmes de l’amour ou du vin, exécutés sur le rythme du B’tayhi.
Le corps de la nouba avec des rythmes modérés composé
• un certain nombre de Btayhiets ( (البطايحيا.
• Les tawchiet (التوشية) au cours desquelles sont exécutées des improvisations instrumentales.
• Les rythmes plus rapides des brawels (البراول).
Enfin la partie finale ou de conclusion avec des rythmes rapides (الدرج والخفيف والختم).
Conclusion :
Le formatage du corpus
andalou, ne manque pas de soulever la question de la diversité culturelle et
des caractères spécifiques des versions locales ainsi que de la nécessité de les
préserver au même titre que la version définitive actuelle de la Rachidia.
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